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L’arbre qui cachait la forêt

Sur la route du Thier de Nonceveux, dans le pays de Liège, se dresse un tilleul, autrefois magnifique. Il a depuis quelque temps perdu de sa superbe suite à un orage. Quel est donc l’intérêt de cet arbre particulier ? L’endroit fut le théâtre d’une légende bien connue de la région, La capote du pendu. L’écrivain Marcellin La Garde nous conte ainsi l’histoire d’un vêtement maudit par son premier propriétaire, dont tous les possesseurs finirent par se pendre. Le tilleul de la légende a depuis lors été classé « arbre remarquable ». Mais que sont les arbres remarquables ? Sur base de quels critères ce statut est-il octroyé ? Comment les reconnaître ?

Le tilleul du pendu, brisé lors d'un orage en 2013
Le tilleul du pendu, brisé lors d'un orage en 2013

Toute une symbolique

De tous temps, les hommes ont été ébahis par la nature. Qu’il s’agisse d’Yggdrasil, l’arbre mythique sur lequel reposent les neuf mondes des Scandinaves, du ficus de la Bodhi sous lequel le Bouddha a atteint l’illumination ou des bosquets sacrés des Celtes, les arbres ont toujours occupé une place particulière dans l’imaginaire collectif. Tour à tour symboles de vie, d’immortalité, de connaissance ou de protection, leurs utilités sont diverses et variées : bois de chauffage, refuges temporaires contre les intempéries, sources de nourriture, « poumons » des villes… Autant de raisons qui nous poussent à l’émerveillement.

Une vie humaine semble tellement courte à côté de ces géants dont l’existence peut atteindre des centaines, voire des milliers d’années… Il est dès lors aisé de comprendre la fascination qu’ils éveillent. Le plus vieil arbre au monde est un épicéa commun de Suède surnommé affectueusement « Old Tijkko », dont l’âge est estimé à 9550 ans. Les anciens peuples européens païens vénéraient certains arbres comme les chênes, les frênes, les ormes ou les ifs, liés à d’immortalité à cause de leur incroyable longévité. Des rites de guérison ou de fécondité étaient pratiqués sous leurs branches ou autour de leurs troncs. Incapable de faire disparaître totalement des siècles de traditions malgré une lutte acharnée, l’Eglise a repris ces différents symboles et les a associés à des concepts chrétiens. Ainsi, les chênes anciennement consacrés à la déesse gauloise d’Ardenne Arduinna furent dotés de statues de la Vierge ou de crucifix et souvent associés à Saint Antoine, guérisseur de nombreuses affections. Le frêne, traditionnellement associé aux fées, fut plus tard réutilisé lors des fêtes de la Saint-Jean ; ses branches et feuilles étaient tressées en couronnes et les danses célébrant le retour de l’été se déroulaient dans son ombre. Le pommier, quant à lui, nous rappelle le fruit interdit de la connaissance cueilli par Eve.

Le tilleul et l'if remarquables, devant et derrière l'église de Dieupart
Le tilleul et l'if remarquables, devant et derrière l'église de Dieupart

Au Moyen Age, il était fréquent de rendre la justice sous un arbre, une coutume héritée très probablement des Francs. Saint Louis est souvent représenté rendant la justice sous un chêne. Dans nos régions, ce sont les tilleuls qui se prêtaient particulièrement à cette tradition : les assemblées de notables, appelées plaids généraux, s’y tenaient régulièrement. Les piloris étaient souvent situés à proximité des arbres, véritables symboles de pouvoir. La cour de Hornu, entourée de chênes, fut le tribunal attitré des comtes de Hainaut jusqu’au XIVe siècle.

Certains arbres étaient aussi réputés pour leurs pouvoirs de guérison. Autrefois, les familles des malades accrochaient des linges appartenant aux personnes souffrantes à leurs branches ou clouaient les étoffes aux troncs ; pour cette raison, ces arbres étaient nommés « arbres à clous ». Certains sont toujours visibles en Wallonie, exhibant des lambeaux de tissus en décomposition. La plupart d’entre eux sont des tilleuls, une essence particulièrement privilégiée dans l’histoire de la Wallonie. A l’heure actuelle, il n’est pas rare d’apercevoir des croix posées contre les arbres, témoins et mémoriaux d’accidents de la route qui ont eu lieu aux endroits indiqués.

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Les arbres sont également devenus synonymes de liberté après la Révolution française. Des peupliers étaient plantés dans les communes, héritiers des arbres de mai plantés par les Gaulois et les Romains en signe de renouveau et de réjouissances. Ce symbole est d’ailleurs présent sur les pièces de 2 euros frappées en France.

Véritables climatiseurs naturels, les arbres permettent de diminuer considérablement la température ressentie en cas de fortes chaleurs en prodiguant de l’ombre et surtout en empêchant en partie la réverbération du bitume sur les bâtiments. Les végétaux sont aussi de merveilleux fournisseurs d’oxygène. Grâce à la photosynthèse, les arbres en pleine croissance absorbent du dioxyde de carbone et de l’eau, rejetant de l’oxygène dans l’air.

Quoi qu’il en soit, certains arbres ont traversé les siècles, témoins privilégiés et silencieux de notre histoire. Certains spécimens ont été classés dans la liste des arbres remarquables à cause de leur longévité, leur capacité à susciter l’admiration ou encore leur aspect si particulier. Bien entendu, cette catégorie est accessible sous certaines conditions.

Liste des critères

La Wallonie compte à elle seule plus de 25 000 arbres et haies remarquables, répartis sur ses 262 communes et recensés par des privés ou des organismes publics, dont la demande a été validée par des fonctionnaires de la Région Wallonne. Ces curiosités de la nature font désormais partie intégrante de notre patrimoine ; leur taille et abattage doivent faire l’objet d’une demande de permis d’urbanisme, que seules les autorités du Département de la Nature et des Forêts peuvent accorder. Toute modification qui leur serait apportée sans autorisation est passible de sanctions sous forme de dommages et intérêts. La Province de Liège est la plus « riche » en arbres remarquables, puisqu’elle contient 37 % des spécimens, contre 20 % pour le Hainaut et Namur, 15 % pour le Luxembourg et enfin 8 % pour le Brabant wallon. Attention cependant : "remarquable" ne signifie pas forcément "classé" car une cinquantaine seulement de ces arbres sont considérés comme sites classés. Par contre, les arbres classés sont toujours des arbres remarquables.

Cèdre du Liban

Tout le monde peut signaler un arbre remarquable. Pour qu’un arbre soit nommé dans cette liste, il doit respecter certaines conditions :

  • Son âge : selon la vitesse de croissance du végétal concerné, sa durée de vie peut être plus ou moins exceptionnelle. Les témoignages anciens et l’aspect général de l’arbre sont autant d’indices pour déterminer son âge. Pour vous y aider, certains outils sont à votre disposition : vous pouvez par exemple mesurer la circonférence de son tronc et calculer son âge en fonction de la vitesse de croissance de l’essence ou compter ses rangées de branches, appelées spirales (pour les conifères). Nos ifs pluricentenaires correspondent parfaitement à cette définition

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  • Sa taille : la circonférence et la hauteur d’un arbre à elles seules peuvent en faire un spécimen atypique. Il convient évidemment de se renseigner sur la taille habituelle de l’essence en question, car si un chêne de 15 m est assez courant, il n’en va pas de même pour une aubépine de la même hauteur ou pour un bouleau de 4 m de circonférence. Le petit village de Liernu (Province de Namur) compte par exemple le plus gros chêne de Belgique, dont l'âge est estimé entre 700 et 1000 ans. Pour entrer en ligne de compte, un arbre doit mesurer plus de 150 cm de diamètre à 1,5 m du sol.

 

  • Son intérêt historique, folklorique ou religieux : lorsqu’un arbre est au cœur d’une légende, il représente une forme de patrimoine culturel. Qu’ils soient guérisseurs, associés à une chapelle, à un saint ou qu’ils aient abrité des tribunaux en plein air, les arbres présents dans nos traditions de toujours peuvent avoir la chance de rentrer dans ce club très sélect.

 

  • Son origine : les arbres exogènes peuvent être qualifiés de « remarquables » si leur variété est très rare dans nos régions. Les sequoias géants, peu présents en Belgique, ou le cèdre du Liban du Parc d'Avroy à Liège font d’excellents exemples d’arbres remarquables.

 

  • Son esthétique : un tronc particulièrement noueux, des branches entrelacées dans une formation étrange, une couleur inhabituelle… Les curiosités biologiques sont primordiales. Vous avez peut-être déjà vu des photographies des temples d’Angkor Wat, au Cambodge, et des arbres qui ont poussé entre leurs murailles, ou de la tête de Bouddha enserrée dans un tronc à Ayutthaya en Thaïlande. Mais la Belgique n'est pas en reste : il suffit de regarder le tilleul d'Arc-Wattripont (Hainaut), le hêtre de Bonnerue (Luxembourg) ou encore le hêtre pourpre du Domaine de Mariémont (également dans le Hainaut) pour en avoir la certitude !

 

  • Sa qualité de repère géographique : les limites de territoires peuvent être signalées par un végétal, qui peut parfois revendiquer le statut d’arbre remarquable. Certains bordent d’anciennes voies romaines, d’autres situent un carrefour.
Sequoia géant

Comment peut-on signaler un arbre remarquable ?

Vous pouvez vous aussi participer à la sauvegarde de notre patrimoine naturel. Pour cela, rien de plus simple. Si, au cours de vos promenades, vous avez croisé un arbre non répertorié qui répond à un ou plusieurs des critères ci-dessus, vous pouvez remplir un formulaire sur le site du SPW Environnement. Vous devrez ensuite envoyer votre demande en y joignant la localisation du spécimen à l’adresse suivante :

A l'attention de Monsieur Martin CLEDA, Attaché
Avenue Prince de Liège, 15
5100 JAMBES

La préservation de notre nature nous concerne tous, ne l'oublions surtout pas.

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