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Lars Soerink

La loutre au fil des méandres de la Semois et de l’Ourthe

À l’occasion de la journée mondiale de la loutre, Notre Nature a souhaité faire le point sur cet animal fascinant qui peuple certains de nos cours d’eau. Comment se développent les populations wallonnes ? Quelles actions ont été mises en place pour favoriser leur croissance ? Corentin Rousseau, biologiste du WWF, a répondu à nos questions.

Comment se portent les loutres de la Semois ?

Corentin Rousseau : « Elles se portent plutôt bien. Si cette espèce n’était plus présente en Flandre depuis quelques décennies pour ne faire son retour qu’il y a environ dix ans, elle n’a jamais vraiment disparu des cours d’eau wallons. La Wallonie a toujours compté quelques populations relictuelles, par exemple dans l’Ourthe, où des pièges photographiques ont déjà permis de les observer, mais aussi dans la Semois. Nous avons placé d’autres pièges photographiques afin de déterminer les endroits précis où la loutre était présente, mais nous n’avons malheureusement pas encore d’images. Cependant, le Service public de Wallonie a recueilli plusieurs témoignages qui confirment sa présence, ou du moins la présence de populations relictuelles.

La Semois est une longue rivière qui mesure 198 km, il est donc difficile de dire précisément quels méandres abritent des loutres, qui pourraient d’ailleurs être présente dans des dizaines de cours d’eau liés à cette rivière. Pour pouvoir mener des actions là où c’est nécessaire, nous allons utiliser une technique née il y a quelques années, appelée ADN environnemental. Nous allons donc récolter de l’eau et l’analyser afin de voir quels ADNs y sont présents. Il existe deux façons de procéder : nous pouvons soit scanner tous les ADNs retrouvés pour connaître la biodiversité des lieux, ou nous pouvons cibler une espèce en particulier. Le fonctionnement est assez simple : si nous prenons par exemple l’eau d’une rivière, nous verrons qu’elle contient des poissons, mais que des oiseaux vivent aussi sur ses berges, car ceux-ci laissent des excréments derrière eux qui confirment leur présence. Même s’il lui arrive de se reposer sur les berges et d’y déguster ses proies, la loutre est un animal qui passe beaucoup de temps dans l’eau. Elle va libérer de l’ADN dans l’eau via ses selles, sa peau et ses poils. Les traces seront moins élevées que celles des poissons, mais nous espérons tout de même qu’elles soient suffisantes pour pouvoir la localiser et ainsi focaliser plus précisément nos projets. »

Excréments de loutre qui peuvent être analysés pour préciser les lieux où elles sont présentes
Yves Adams
Excréments de loutre qui peuvent être analysés pour préciser les lieux où elles sont présentes

Quelles actions ont été mises en place pour favoriser la croissance des populations wallonnes ?

Corentin : « Pour ce qui est des actions, nous travaillons avec le Contrat de Rivière Semois qui est chargé de restaurer l’habitat de l’espèce. Nous nous concentrons sur différents facteurs, par exemple sur sa nourriture. La loutre se nourrit principalement de poissons de petite taille. L’idée est donc d’augmenter les sites de reproduction des poissons afin que les populations soient suffisantes pour nourrir les loutres. On va donc restaurer des frayères pour que les poissons puissent se reproduire et restaurer la continuité écologique des petites rivières qui se jettent dans la Semois. Les truites remontent par exemple ces cours d’eau pour se reproduire dans de plus petites rivières mieux oxygénées. Or ces rivières sont parfois traversées par des canalisations qui vont créer une différence de niveau. Si cette différence de niveau donne naissance à une chute d’eau que les poissons sont incapables de remonter, il faut une continuité écologique pour que les poissons puissent tout de même passer malgré les obstacles.

Un autre point essentiel pour la croissance des populations de loutres est qu’elles disposent de suffisamment de cachettes. La Semois est une rivière assez sauvage, mais certaines portions sont occupées par des balsamines de l’Himalaya, des plantes exotiques envahissantes. Le problème est que ces plantes meurent en hiver, et que les cachettes qu’elles constituaient en été disparaissent donc avec elles. Nous arrachons donc les plantes en été avant qu’elles ne montent en graines. Comme les graines de la balsamine de l’Himalaya ne survivent que 2 à 3 ans, éliminer ces végétaux pendant plusieurs années permet à d’autres espèces indigènes de s’installer. Les ronciers et les aubépines peuvent pas exemple se développer sans cette concurrence et former des cachettes idéales pour les loutres. De plus, d’autres espèces peuvent profiter de ces végétaux, comme les papillons.

Aux Pays-Bas, on a constaté que la plus grande menace qui pesait sur les loutres étaient les ponts. Quand ceux-ci forment un tunnel, les loutres n’osent pas passer en-dessous s’il n’y a pas de berges. Pour pallier ce problème, nous allons donc mettre en place des berges artificielles. Nous avons créé un loutroduc, mais nous préférons le terme de « passage à faune », car ces structures sont empruntées par beaucoup d’autres espèces comme les hermines, les putois, mais aussi les écureuils ou encore les renards. Nous avons installé un piège photographique, mais nous attendons encore le passage de notre première loutre. »

 

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Yves Adams

« Les loutres wallonnes vivotent depuis une vingtaine d'années et nous espérons que leurs populations pourront à nouveau croître notamment grâce à ces actions. Évidemment, des actions supplémentaires ont été mises en place par d’autres organismes, comme le projet LIFE cofinancé par l’Europe dans la vallée de la Sûre, une autre rivière wallonne. Là aussi, les objectifs étaient de restaurer l’habitat de la loutre et de favoriser les espèces qui figurent à son menu. Les passages à faune sont aussi des actions entreprises spécifiquement pour les loutres, mais nous mettons souvent en place des actions plus générales. Comme vous le savez, la loutre est une espèce parapluie dont la restauration de l’habitat servira à d’autres espèces. En travaillant sur le retour en force de la loutre, nous permettons à d’autres animaux de s’épanouir, comme le martin-pêcheur, certains papillons ou des libellules. »

Pourquoi les vallées de la Semois et de l’Ourthe sont-elles particulièrement adaptées aux loutres ?

Corentin : « Je vois au moins deux grands facteurs qui favorisent leur présence dans ces rivières. Il faut savoir que la loutre a décliné à cause de la chasse et du piégeage, ainsi que suite à la pollution des cours d’eau. Cette pollution a fortement diminué les stocks de poissons, repas préféré des loutres, mais a aussi provoqué l’empoisonnement des loutres. L’avantage de la Semois et de l’Ourthe, c’est qu’elles ont été très peu polluées. Il existe bien des traces locales de métaux lourds, mais peu de grosses industries s’étaient installées sur leurs berges. De plus, ces cours d’eau ont beaucoup d’affluents qui ont pu servir de refuges aux polluants et ne les ont donc pas atteints.

Ensuite, la densité de population de la Flandre est bien plus importante qu’autour de ces deux rivières. Il y avait cependant des piégeurs qui attrapaient parfois jusqu’à une ou deux dizaines de loutres. Un agent du DNF a par exemple retrouvé le carnet de son père, lui aussi agent de la Nature et des Forêts, qui avait dû à l’époque chasser la loutre. Ce carnet a permis de constater les endroits où l’animal était effectivement présent à l’époque. Malgré les actions entreprises, cela n’a pas suffi à exterminer les populations, qui n’ont donc jamais vraiment quitté la région. Une raison possible est que la Semois et l’Ourthe sont deux rivières aux berges parfois difficiles d’accès car assez abruptes ; elles ont pu servir de refuges aux loutres, mais cette explication ne reste qu’une hypothèse. »

Quels sont vos futurs plans pour continuer à promouvoir le retour des loutres en Wallonie?

Corentin : « Nous avons constaté que les populations étaient en croissance en France et aux Pays-Bas mais qu’elles restaient assez loin de nos frontières (environ 200 à 300 km). Nous espérons à présent que les loutres septentrionales vont traverser le Limbourg, où elles sont présentes, via la Meuse et ainsi rejoindre l’Ourthe, qui est l’un de ses affluents. Elles pourraient parcourir le chemin entre les Pays-Bas et Liège en peu de temps et ainsi atteindre l’Ardenne, où l’habitat est favorable. On a déjà vu des loutres traverser des zones urbanisées et très peu accueillantes, donc cela reste de l’ordre du possible. Nous comptons aussi travailler sur la communication en nous réunissant notamment avec le Contrat de Rivière Meuse afin que la loutre soit prise en compte dans les actions à venir. Nous allons également continuer la sensibilisation ; nous sommes d’ailleurs en contact avec le Parc des Trois Pays dans ce sens. »

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Yves Adams

Le public peut-il agir pour aider les loutres ?

Corentin : « Dans la communication en général, le citoyen est souvent impliqué alors qu’il n’a que peu de pouvoir, car ce sont les politiques qui doivent organiser des actions afin que celles-ci soient efficaces. Pour la loutre, le citoyen a peu d’impact ; il peut effectivement demander à sa commune d’agir, par exemple en demandant au bourgmestre de végétaliser les berges de cours d’eau comme la Meuse, mais la décision finale revient aux politiques. Il existe bien quelques petites actions à mettre en place, comme bien se raccorder aux égouts (si ce n’est déjà fait) ou éviter d’utiliser des détergents chimiques agressifs qui se déverseront ensuite dans les canalisations, mais nous préférons ne pas mettre la pression sur les citoyens. »

Qu’est-ce que la politique pourrait mettre en place pour améliorer la situation ?

Corentin : « Il y a déjà eu des actions efficaces. Le projet LIFE qui a eu cours entre 2005 et 2011 a ciblé la restauration des habitats, et certains terrains ont été achetés dans ce but. Un plan d’action a été lancé entre 2011 et 2021 en faveur de la loutre. Malheureusement, les obstacles principaux étaient liés au budget et aux ressources humaines, trop faibles.

Il est aussi possible de mettre en place des actions plus générales. On peut par exemple créer de nouvelles zones marécageuses afin de purifier ou stocker l’eau ; ces zones serviront aussi alors d’habitats à de nombreuses espèces, et pourquoi pas la loutre. Beaucoup de gens pensent que les cours d’eau doivent être rectilignes pour que les courants puissent s’évacuer rapidement et ainsi garder une eau pure tout en évitant les inondations, mais rien n’est moins vrai ; si les rivières étaient droites, les crues seraient beaucoup trop importantes. L’eau stockée en amont, par exemple grâce aux barrages de castors, est une bonne solution, car les crues sont alors moins importantes. Ces mesures sont aussi très intéressantes pour d’autres espèces et pour le citoyen, car elles limitent l’impact des crues. En bref, il faudrait favoriser l’ensauvagement et la reméandrationdes cours d’eau, car cela ralentirait le flux et limiterait le pic de crue. »

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