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Les loutres n'aiment pas les ponts

La Flandre est une région très peuplée avec un haut taux d'urbanisation. Pourtant, les loutres ont l'air de s'y épanouir : cette espèce iconique trouve sa place au sein de notre nature grâce à tous les efforts entrepris ces dernières années pour améliorer son habitat aquatique. Mais pour que ces animaux se sentent totalement chez eux, il y a encore du pain sur la planche.

Construire des ponts spécialement pour les loutres

L'une de ces actions concerne par exemple l'habitude particulière des loutres qui refusent de nager sous les ponts. Selon Céline De Caluwé du WWF-Belgique, cette peur viscérale fait partie de leur ADN : « Une loutre qui se trouve subitement face à un pont en pleine session de natation sort de l'eau pour contourner l'obstacle sur la terre ferme. Une entreprise dangereuse, car la plupart du temps, les ponts sont construits pour prolonger des routes. Aux Pays-Bas, où les loutres se sont d'ores et déjà établies, les ponts sont même la première cause de mortalité chez ces animaux : chaque année, un quart des morts sont causées par le trafic sur un pont. »

« Heureusement, les loutres peuvent aussi marcher sous les ponts. Il est donc possible de construire des ponts spécifiquement adaptés à leurs besoins en créant une sorte de "trottoir" sur la terre ferme ou en laissant les berges nues sous le pont. Les loutres sont des animaux qui ont besoin de respecter certaines habitudes, elles doivent donc être en mesure de trouver ces parcelles grâce auxquelles elles peuvent traverser. Il faut aussi placer des clôtures qui empêchent les loutres de prendre leur ancien chemin. A l'étranger, ces actions ont prouvé leur efficacité, et même plus : d'autres animaux comme la fouine, la martre des pins, l'écureuil et le hérisson  utilisent ces trottoirs, plus sûrs, et courent moins de danger en traversant les routes. »

Clôture et trottoir pour loutres sous un pont
Photos : WWF
Clôture et trottoir pour loutres sous un pont

L'enthousiasme pour les espèces parapluies, ça paie !

Il existe d'autres animaux qui bénéficient des efforts instaurés pour les loutres, nous explique Céline : « La loutre est un super-prédateur très exigeant envers son habitat. Son retour en Belgique est dû à deux facteurs. Premièrement, elle est arrivée via les pays voisins, où les populations croissent et finissent par se disperser. Aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, les loutres ont aussi fait leur retour, et la Belgique se trouve au carrefour entre les différentes populations. Ce retour apporte son lot de responsabilités, et nous devons nous assurer que l'espèce se sente chez elle. »

Ce qui nous amène à la deuxième raison qui a poussé les loutres à traverser nos frontières : « Comme la loutre semble s'acclimater à notre nature, nous avons tout fait pour améliorer la qualité des zones humides durant ces dernières années. La loutre est une espèce indicatrice des eaux saines, car elle a besoin d'eau claire et de bonne qualité. L'eau saine attire de nombreux organismes comme les poissons, les amphibiens et les oiseaux aquatiques. Tout ceci fait donc de la loutre une espèce parapluie, c'est-à-dire une espèce pour laquelle les autorités prennent des mesures pour protéger son habitat. Cette réglementation est aussi profitable à d'autres espèces. Comme le nombre de poissons augmente, la boucle est bouclée, car sans poissons, il n'y aurait pas de loutres. »

En route vers l'accroissement des populations ?

Actuellement, près de 20 loutres se sont installées en Flandre et une petite dizaine en Wallonie, mais nous ne pourrons parler d'un retour réussi qu'une fois que les animaux auront commencé à se reproduire. A Kruibeke, certains indices semblent démontrer que la reproduction serait en cours, mais les associations de protection de la nature ont encore du pain sur la planche, souligne Céline. « Pour que la loutre se sente comme un poisson dans l'eau, le nombre de poissons doit encore augmenter. Une loutre mange un kilo de poisson chaque jour ; pour satisfaire à ses besoins, il faut que la densité de poissons soit égale à 100 kg/ha, et nous n'y sommes pas encore. De plus, nos eaux sont encore polluées et comptent des métaux lourds et des PCB qui s'accumulent dans les corps des prédateurs, et donc de la loutre. »

Pour Céline, l'action la plus importante est la défragmentation de la nature belge. « La loutre a besoin d'un grand territoire, et les mâles vivent en plus à l'écart des femelles. Recréer une nouvelle nature est pratiquement impossible dans notre pays surpeuplé, mais nous pouvons relier certaines régions naturelles et contrer l'effet des goulets d'étranglement. L'ambitieux plan Sigma s'est par exemple montré très utile pour les loutres et pour d'autres espèces aquatiques. Il faut maintenant relier ces régions restaurées entre elles. La défragmentation ne s'arrête pas à nos frontières : nous devons nous assurer que les régions naturelles sont reliées avec celles des pays voisins. Pour cela, il faudrait un plan d'envergure européenne. »

Otterland permet de cartographier les goulets d'étranglement

Otterland est le résultat du travail entrepris par le WWF, le Département Nature et Forêts de Flandre, le Regionaal Landschap Rivierenland et le Regionaal Landschap Schelde-Durme. Ensemble, ils ont cartographié les goulets d'étranglement des loutres et ont dressé une liste de priorités. Le WWF travaille également avec les Contrats de rivières de Wallonie pour restaurer petit à petit son habitat le long de la Semois et dans la vallée de la Meuse.

Céline : « Avec Otterland, nous souhaitons créer un ensemble de régions naturelles dans lesquelles la loutre se sent chez elle. Nous partons du triangle formé par les villes d'Anvers, de Gand et de Malines, où les loutres sont réapparues. Cette région, riche en rivières, en zones marécageuses et en étangs d'eau douce, attire particulièrement ce prédateur aquatique. Nous cartographions donc systématiquement les endroits où les loutres rencontrent encore des problèmes. Par exemple, une route très fréquentée traverse le Broek De Naeyer et le Blaasveldbroek, deux zones naturelles en province d'Anvers. Ces deux régions ont beaucoup de valeur écologique pour la loutre. »

Pour éviter que les loutres ne repartent, des actions concrètes ont été mises en place. « Nous voulons éviter de futures victimes de la route en reliant ces deux zones naturelles grâce à des passages situés sous un pont à Willebroek qui connaît beaucoup de trafic. Nous ne nous limitons pas à ce loutroduc ; nous adaptons d'autres régions. Dans la vallée de la Semois, nous avons lancé un projet qui vise à rétablir l'état d'origine des berges. Nous espérons mieux protéger les loutres sur le long terme afin qu'elles mettent au monde des petits dans notre nature. »

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